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Les Compagnons du crépuscule
avec Patrick Rotman
France Télévisions Distribution 2005 /  19.99  € - 130.93 ffr.
Durée film 116 mn.
Classification : - 8 ans

Diffusion télévision : avril 2005, France

Version : Zone 2/Pal
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33
Format audio : Français stéréo

Bonus :
Bibliographie sélective
Entretiens supplémentaires

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Auteur d’un précédent documentaire sur la libération de la France, Eté 44, Patrick Rotman poursuit avec Les Survivants son exploration de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Ce documentaire, réalisé à l’occasion du soixantième anniversaire de l’ouverture des camps de concentration par les alliés, retrace en trois grandes parties les derniers mois des principaux «lagers» : Auschwitz-Birkenau, Dachau, Buchenwald, Bergen-Belsen et Mathahausen.

Des rescapés décrivent tout d’abord leur arrivée au camp d’Auschwitz, de leur descente des wagons plombés, sous les hurlements des S.S. et les aboiements de leurs chiens, à la sélection opérée sur la rampe ferroviaire, où de nombreux déportés ont alors la confirmation que l’extermination n’est pas une rumeur. La seconde partie retrace l’évacuation d’une partie du camp vers ceux plus situés plus à l’ouest, lors de longues marches dans la froidure de l’hiver, puis la découverte progressive des différents «lagers» par les alliés. En convergeant vers Berlin, les bataillons américains et russes, qui n’ont pas fait de la libération des camps de concentration des objectifs militaires, restent stupéfaits par l’horreur du spectacle s’offrant à leurs yeux. Cependant, l’une des grandes forces du documentaire réside essentiellement dans la dernière partie qui insiste sur des aspects assez méconnus car moins à l’honneur des vainqueurs de la guerre. En effet, l’inorganisation des secours, abandonnant à leur triste sort les déportés pendant de longs jours, ainsi que les difficultés d’organiser leur rapatriement, y sont soigneusement décrites. Aucune prise en charge n’a été prévue, pas de matériel ni de médecins, par les autorités dépassées qui laissent les conditions sanitaires s’aggraver et les cadavres continuer à s’empiler. Primo Lévi, qui était à Auschwitz, critiquera l’incurie de l’Armée Rouge, et rapportera également dans son livre, La Trêve, les affres du retour (le rapatriement des survivants des camps n’étant pas prioritaire). A travers divers témoignages, le documentaire se penche plus particulièrement sur le retour des déportés en France dont l’arrivée dans les gares de l’hexagone représentait pour eux la véritable libération.

Le réalisateur alterne les récits d’une dizaine de rescapés du système concentrationnaire avec des documents d’époque commentés par une voix off. Cette adéquation entre la parole et l’image d’archives reprend le dispositif classique des documentaires sur l’histoire, mais tranche avec celui mis en place par Claude Lanzmann dans Shoah (1985). Ce film-référence ne livre que des témoignages, et pas seulement ceux d’anciens déportés, souvent obtenus grâce aux questions pugnaces posées par le cinéaste. Dans une démarche différente, la clarté de la construction chronologique des Survivants, que France 3 a eu la judicieuse idée de diffuser en première partie de soirée, constitue un support pédagogique idéal, entre autres, pour les enseignants. Dans un format relativement court, Patrick Rotman reconstitue cette période de façon très complète en prenant toujours soin de replacer les événements dans leur contexte, et en dressant de manière concise un bref historique des «lagers».
Patrick Rotman et la documentaliste, Marie-Hélène Barbéris, ont collecté à travers le monde des reportages d’actualités, des films amateurs, des photographies clandestines (notamment celles de Georges Angéli, chargé à Buchenwald de prendre des clichés anthropométriques des déportés). Ils ont, par contre, systématiquement écarté les documents dont les sources ou les indications n’étaient pas clairement établies. Les images, aussi insoutenables qu’elles puissent apparaître pour certaines, ne sont pas juste là pour illustrer les commentaires et appuyer les témoignages, mais comportent un égal intérêt. La photographie de la sélection prise par un S.S. et les images de rafles de juifs Hongrois en 1944 donnent de précieux renseignements, comme le document filmé de deux juifs du ghetto de Lódz, saluant des officiers allemands, invite à s’interroger sur les particularismes de ce lieu.

La sobriété des commentaires, lus sans emphase, et l’exactitude des termes employés répondent à l’exigence du choix iconographique. Patrick Rotman n’interprète pas les images, ni ne les accompagne d’un commentaire lyrique ou d’une musique dramatisante, mais expose de manière rigoureuse les faits incontestables. Il se livre également à un décryptage de documents de propagande, tel que celui désormais célèbre de la reconstitution de la libération d’Auschwitz par les cinéastes russes. Ceux-ci, ne pouvant filmer sans projecteurs les déportés agonisant dans les baraquements, firent rejouer quelques jours après le 27 janvier, la scène de la libération du camp par une foule en liesse composée en grande partie de figurants venus des villages aux alentours. Les déportés, selon eux, manquant trop d’enthousiasme et de reconnaissance. Ces images, jamais diffusées à l’époque car trop éloignées de la réalité, furent, en revanche, reprises telles quelles plus tard dans de nombreux documentaires moins pointilleux. Des correspondants de guerre et des photographes arrivèrent également après la découverte des camps, accompagnant le plus souvent des missions officielles. Le cinéaste George Stevens a filmé des cadavres décharnés, entassés dans un wagon stationnant à Dachau, tandis que Lee Miller, créditée auprès de l’armée américaine, se rendit à Buchenwald. Envoyée également dans ce camp par Life, Margaret Bourke-White, l’auteur de la photographie qui illustre la jaquette du DVD, déclarait placer « l’appareil entre elle et l’horreur » pour éviter de se laisser submerger par l’émotion. Ces photographies, et d’autres, ne sont parues dans des revues et journaux américains, français, anglais qu’après maintes hésitations, et les actualités françaises n’ont diffusé les premières images des camps qu’en juin 1945.

Ces documents, insiste le commentaire, ne montrent pas pour autant le cœur de la machine d’extermination, les nazis ayant pris soin de détruire certaines preuves tels que les camps de Sobibór, Belzec ou Treblinka dès 1943, et les chambres à gaz d’Auschwitz en 1945. Ils n’évoquent pas non plus la singularité du génocide juif, seules des images de l’intérieur d’une baraque du «kanada», épargnée par les incendies, montrent des accumulations de valises, d’effets personnels, de sacs de cheveux et de châles de prières, comme autant de vestiges pathétiques du million de juifs exterminés à Auschwitz-Birkenau. Après la guerre, l’anéantissement programmé des juifs d’Europe est occulté, dilué dans le flot des innombrables victimes du IIIe Reich, alors que les juifs à Auschwitz représentaient 90 à 95 % des déportés. Le texte écrit par Jean Cayrol pour Nuit et Brouillard (1956) d’Alain Resnais, commandé par le Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, participe lui aussi à cet oubli en mentionnant la présence de prisonniers politiques tout en éludant celle des juifs.

Il fallut plusieurs décennies pour que l’on distingue la déportation du caractère de génocide de la « solution finale », et dans cette entreprise, l’importance des témoignages fut déterminante. Le documentaire de Patrick Rotman donne la parole à une dizaine des survivants des camps de la mort, dont les brèves interventions, qui ponctuent les documents audiovisuels, ne permettent pas de se retrancher dans l’anecdotique mais vont à l’essentiel. L’accent est mis sur l’individu dans cette extermination de masse car chacun de ces intervenants a vécu différemment son internement, et s’est forgé ses propres souvenirs. Maurice Wolf avoue avoir éprouvé à son retour un certain plaisir en contemplant l’Allemagne ainsi dévastée, tandis que le couple de juifs résistants, les Golstein, raconte leurs émouvantes retrouvailles à l’hôtel Lutétia. Cependant, des réflexions communes apparaissent notamment dans la volonté de déshumanisation, « obliger un homme à devenir un animal », et dans le sentiment de culpabilité d’avoir survécu. « A l’époque, conclut Patrick Rotman, les vivants ne veulent pas entendre et les survivants ne veulent plus parler ». Toutefois, depuis quelques années, le besoin de parler pour certains rescapés se fait pressant.

Georges Bensoussan, dans son essai Auschwitz en héritage ?, paru en 1998, souligne que l’affluence de documentaires et de commémorations peut parfois faire penser que l’on parle trop du génocide des juifs d’Europe alors que l’on en parle en général mal. Le devoir de mémoire ne peut suppléer le droit à la mémoire qui tant à se banaliser, voire à s’estomper. Des documentaires de la qualité des Survivants nous redonnent ce droit en nous remémorant intelligiblement un pan tragique de l’histoire de l’humanité car, comme le précise Hanna Arendt : « Nous avons désespérément besoin pour l’avenir, de l’histoire vraie de cet enfer construit par les nazis [...] Ce n’est qu’à partir de ce fondement sur lequel reposera une connaissance nouvelle de l’homme que nos nouvelles perspectives, nos nouveaux souvenirs, nos nouvelles actions pourront prendre leur point de départ .» Espérons qu’en cet été 2005, le soixantième anniversaire du lancement de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, autre crime contre l’humanité fondateur du XXe siècle, ne soit pas oublié et fera l’objet de documentaires aussi pertinents que celui-ci.

Les extraits d’interviews dans le supplément, tout aussi passionnant, prouvent que le documentariste a dû procéder à des choix drastiques pour sélectionner ceux qu’il a finalement inclus dans son film afin de conserver une unité et une cohésion. Pour exemple, le récit rapportant qu’une femme a été sauvée in extremis avant d’être jetée dans une fosse, ou celui d’une musicienne de l’orchestre d’Auschwitz qui tient à préciser que cette formation n’a jamais joué à l’arrivée des trains ni pour accompagner les déportés à la chambre à gaz, comme certains réalisations de cinéastes recherchant l’effet esthétique le font croire.


Corinne Garnier
( Mis en ligne le 09/05/2005 )
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