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Décoction surréaliste avec Luis Buñuel, Pierre Batcheff, Simone Mareuil Montparnasse 2005 / 25 € - 163.75 ffr. Durée film 15 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : 1929, Espagne
Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33 (noir & blanc)
Format audio : Muet et son mono dorignie restauré (Dolby Digital)
DVD Edition Collector
Bonus :
Un Film miroir par Philippe Rouyer (19 mn)
Le Surréalisme par Dominique Rabourdin (10 mn)
Je ne me définis pas, un extrait de lémission Cinéastes de notre temps consacrée à Luis Buñuel (5 mn)
Dali et Buñuel, regards croisés de Juan-Luis Buñuel, Jean-Claude Carrière et Dominique Rabourdin (10 mn)
Entretien de Juan-Luis Buñuel (11mn)
Entre la déchirure et la réparation par Jean-Claude Carrière (12 mn)
Livret de 16 pages présentant le scénario original du film Imprimer
Le synopsis dUn Chien andalou se résume en une phrase : un homme (Pierre Batcheff, également assistant réalisateur sur ce court métrage) rejoint une femme (Simone Mareuil) dans son appartement. La femme constitue déjà, dans cette première réalisation de Luis Buñuel, lobscur objet du désir masculin dont la quête, comme lexplique Salvadore Dalí, dicte «la pure et parfaite conduite dun être humain recherchant lamour à travers les ignobles idéaux patriotiques et humanitaires et autres misérables exploitations de la réalité.»
Le cinéma automatique
Dès 1920, Salvadore Dalí, co-scénariste et co-réalisateur du film, rencontra Luis Buñuel et le poète Federico García Lorca à la Résidence des étudiants de Madrid mais ce nest que huit ans plus tard que germa lidée dUn Chien andalou. Travaillant sur la spontanéité en laissant librement divaguer leurs pensées, Buñuel et Dalí achevèrent le scénario en six jours. Chacun émettait des propositions et rejetait «impitoyablement ce qui pouvait signifier quelque chose.» (1) adoptant ainsi la technique de lécriture automatique définie dans le premier manifeste du surréalisme de 1924. André Breton y décrit le surréalisme comme un automatisme psychique par lequel sexprime le fonctionnement réel de la pensée en labsence de tout contrôle exercé par la raison, et en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
Cette tentative de matérialiser linconscient à travers des uvres plastiques et littéraires, Les Champs magnétiques (1920) dAndré Breton et de Philippe Soupault étant en ce domaine louvrage de référence, se décline sous forme plus ludique avec le jeu du Cadavre exquis. Le film de Man Ray, Retour à la raison (1923), présente une juxtaposition analogique de visions abstraites et déléments concrets tandis que Filmstudie (1926), de Hans Richter, radicalise le propos par labstraction des images. Fernand Léger, auteur du Ballet mécanique (1924), justifie ce rejet de la tradition narrative et de la représentativité en arguant que «lerreur picturale, cest le sujet" et "lerreur du cinéma, cest le scénario» (2). Buñuel et Dalí, à linstar de Picabia et René Clair dans Entracte (1924), ont quant à eux recours à des objets clairement identifiables sans toutefois contribuer à lillusoire continuité du discours filmique.
Au cours de son entretien, présenté dans les suppléments, Juan-Luis Buñuel confirme la volonté de son père de réaliser un film totalement irrationnel alliant humour et provocation. Abolissant les frontières entre rêve et réalité, Un Chien andalou débute par lune des séquences les plus célèbres du septième art. Le plan dun homme (Luis Buñuel) qui affûte un rasoir puis lève la tête pour regarder un nuage traverser la pleine lune précède celui dun tortionnaire anonyme sapprêtant à trancher lil dune femme impassible. Ce prologue sachève sur le gros plan dun il de bovidé sectionné horizontalement. «Rien dans ce film ne symbolise quoi que ce soit», soutient Luis Buñuel pour qui cette uvre ne représente qu«un amalgame desthétique surréaliste et de découvertes de Freud» (3). Cette première scène transgresse les interdits et provoque de la répulsion de la part du spectateur, prévenu quil pénètre dans un univers peuplé de phantasmes au cur de linconscient collectif mais aussi individuel où chacun peut projeter ses propres angoisses et pensées refoulées. Luvre, mélange donirisme, de réel et dimages heurtantes, permet en effet de multiples interprétations.
Entre onirisme et trivialité
Cette entreprise de déstabilisation réussie du spectateur, ne pouvant sappuyer sur la rhétorique du discours cinématographique, fonctionne par associations dimages irrationnelles et insolites au symbolisme appuyé. Le désir de lhomme qui caresse la poitrine et les fesses dune femme, apparaissant tour à tour habillée et nue, ou lambiguïté troublante dune androgyne manipulant du bout de sa canne une main coupée, relèvent dun érotisme né dune frustration sexuelle. Les deux auteurs mettent en scène leurs rêves : le songe de Luis Buñuel «dun nuage effilé coupant la lune et dune lame de rasoir coupant un il» et celui de Salvadore Dalí de fourmis sortant dun trou percé dans la paume dune main. Ils évoquent également leurs souvenirs plus ou moins enfouis notamment dans la scène où lhomme traîne une accumulation déléments hétéroclites, fardeau qui lempêche datteindre la femme apeurée réfugiée dans un coin de la pièce. Aux deux cordes sont attachés deux frères maristes (Salvadore Dalí et Jaime Miratvilles) suivis par deux pianos, instrument récurrent dans luvre de Dali, sur lesquels sont posées deux charognes dânes sanguinolents, réminiscence de la vision dun âne putréfié ayant choqué le cinéaste enfant.
Luis Buñuel ayant "conçu le remarquable projet de faire financer le film par sa mère» (4), le tournage se déroula au Havre et à Paris (centre artistique de lépoque et lieu de résidence du cinéaste). La sobriété du vocabulaire cinématographique soppose au formalisme et à lesthétisation des films davant-garde des années 1920. Le peu de trucages et deffets spéciaux le distingue du film dadaïste de René Clair Entracte ou de La Coquille et le clergyman (1928), réalisé par Germaine Dulac sur un scénario de Antonin Artaud. Ce film, jugé trop académique par les surréalistes, a, du reste, largement influencé les auteurs dUn Chien andalou, comme le soulignait Artaud dans ses mémoires (5). Il a fallu la floraison du cinéma indépendant américain dans les années 1960 pour que le regard sur lavant-garde française ne change et quelle ne soit plus considérée uniquement comme un laboratoire de recherches esthétiques hermétiques.
Le montage, la «segmentation», selon le terme employé par Luis Buñuel, avec des collisions de plans et de nombreux fondus enchaînés, subvertit la notion despace-temps. Intitulé à lorigine, Interdit de se pencher au-dedans, les auteurs donnèrent finalement le titre dénué de sens dun recueil de poésie de Luis Buñuel. Les indications non homogènes des intertitres, dévoyés de leur fonction première dinformer, contribuent à désorienter le spectateur tout en le confortant dans lillusion dune continuité narrative sans enchaînement logique. Ce dernier ne peut pas non plus se raccrocher à lunité spatiale car se crée une illusion tridimensionnelle à la Magritte avec une juxtaposition de lieux distincts. Dautres allusions au surréalisme se glissent également dans le film qui reprend le motif de lil et pratique lautoréférence dans lépilogue. Le plan de la dernière scène, où la femme et lhomme sont à demi-enterrés dans le sable soutenus par des piquets, correspond à lunivers plastique de Salvadore Dalí. Le rejet de la tradition narrative nexclut pas des citations à lhistoire de lart : les accessoires vestimentaires du jeune homme affublé des mantelets de toile blanche autour du cou, des hanches et sur la tête, évoquent ceux de La Dentellière de Vermeer, tableau que la jeune fille contemple en lentendant arriver, et un tableau dIngres prend vie dans la scène où le double de lhomme seffondre blessé en effleurant le dos dénudé dune femme dans un parc.
Un appel désespéré au meurtre
La musique, alternance dextraits de lopéra Tristan et Yseult de Richard Wagner et dun tango argentin, est utilisée en contrepoint. Avant la version sonore réalisée en 1960 sur les indications de Luis Buñuel, le film muet fut accompagné par des disques lors de la première projection en avril 1929 au Studio des Ursulines où le succès inattendu, au parfum de scandale, le fit maintenir durant neuf mois à laffiche. Le but premier étant de choquer le public, le cinéaste, se moquant des analyses sur le film et étonné qu'il soit considéré dun avis unanime comme «beau» et «poétique», fustigea «la foule imbécile» qui navait pas compris luvre comme une provocation : «un désespéré, un passionné appel au meurtre» (6). Dès sa première réalisation, estampillée surréaliste par André Breton, le cinéaste manifeste lesprit libertaire et subversif du mouvement surréaliste qui marqua toute son uvre. «Le surréalisme nétait pas pour moi du tout «intellectuel», explique le réalisateur. Cétait une libération, une véritable explosion. Cétait lirruption de lirrationnel et du rêve dans la réalité la plus banale» (7). Luis Buñuel, qui sest intéressé dès le début des années 1920 à ce mouvement, décrit dans ses mémoires la portée de cette expérience sur son uvre : «Ma rencontre avec le groupe fut essentielle et décida du reste de ma vie.» (8)
Dans sa seconde réalisation, LAge dor (1930), co-scénarisé avec Salvadore Dalí qui fut écarté de la mise en scène suite à leur brouille, lautomatisme sera remplacé par une organisation du discours filmique. Cependant, Luis Buñuel atteignit cette fois son objectif puisque le film déclencha un scandale qui, devant le tapage et les dégradations causés par lextrême droite durant les projections, le fit frapper dinterdiction.
Modifications et héritage
Les Editions Montparnasse proposent une belle version restaurée et un livret du scénario original, qui permet de saisir les modifications intervenues lors du tournage, dues probablement à des contraintes techniques. La scène suivant le prologue devait se dérouler sous la pluie afin que le cycliste tombe dans une mare de boue et de coordonner les rayures de la cravate, de la boite et de laverse. Landrogyne nest finalement pas affreusement mutilée par laccident pas plus que les corps enterrés, dans la dernière scène, ne sont dévorés par des essaims dinsectes. Les entretiens de diverses personnalités, ceux du cinéaste ainsi que de son fils, Juan-Luis Buñuel, de Jean-Claude Carrière (scénariste sur six de ses longs métrages) et de Salvadore Dalí, permettent de mieux cerner lauteur et le contexte particulier dans lequel est sorti le film. Dans Un film miroir, Philippe Rouyer, critique à Positif et auteur dun ouvrage sur le cinéma gore (9), analyse la relation entre le sexe et la mort du film de Luis Buñuel et fait allusion à lhéritage laissé par cet auteur, entre autres, chez des cinéastes tels que David Lynch, tandis que Dominique Rabourdin (critique littéraire, écrivain et réalisateur de films de télévision) tente, dans le document Le Surréalisme, de livrer une définition de ce mouvement.
(1) Entretien de Luis Buñuel réalisé par François Truffaut.
(2) Fernard Léger, Les Cahiers du mois, décembre 1925.
(3) Entretien de Luis Buñuel paru dans Positif, n°146, 1973.
(4) Salvadore Dalí, Comment devient-on Dalí, Robert Laffont, Paris,
1973.
(5) Antonin Artaud, uvres complètes, tome III, Gallimard, 1961.
(6) Texte de Luis Buñuel paru dans la revue La Révolution Surréaliste,
n°12, décembre 1929.
(7) Entretien de Luis Buñuel publié dans la revue Réalités en février
1963.
(8) Luis Buñuel, Mon Dernier soupir, éditions Ramsay, 1998.
(9) Philippe Rouyer, Le Cinéma gore, une esthétique du sang, collection
7ième art, éditions Le Cerf, 1997.
Corinne Garnier ( Mis en ligne le 31/01/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Surréalisme au cinéma de Ado Kyrou Le Surréalisme de Yvonne Duplessis Dali de Robert Radford | |
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