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| Musique & Spectacles -> Théâtre |
L'esprit de salon
avec Jean-Paul Carrère, Georges Descrières, Bernard Dhéran, Michel Duchaussoy, Gérard Caillaud, Béatrice Agenin, Bérengère Dautun
Montparnasse - Comédie Française 2009 / 15 € - 98.25 ffr.
Durée film 125 mn.
Classification : Tous publics |
Année de production, Pays : 1977, France
Version : 1 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3, PAL
Format image : 1.33 (couleurs)
Format audio : Français (Dolby Digital 2.0)
Sous-titres : Aucun
Bonus : Aucun
L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est lauteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Parallèlement à leur intégrale Molière sortie récemment, les éditions Montparnasse poursuivent une seconde intégrale avec des pièces enregistrées trente ans plus tôt (1970-1980). Après Tartuffe, L'Avare, Le Malade imaginaire ou Les Femmes savantes, voici Le Misanthrope.
Ces versions n'ont rien à envier aux plus récentes, avec des comédiens souvent plus sûrs, sans volonté de jouer l'originalité pour l'originalité par un "dépoussiérage forcé" souvent artificiel. Ce que l'on peut reprocher d'un autre côté, c'est une façon de faire à l'ancienne, un respect parfois «amidonné» : une diction un peu trop théâtrale et des gestes guindés. Mais on retrouve avec plaisir un Molière percutant, drôle et lucide.
Cette pièce est l'une des plus difficiles à interpréter. Le sujet est "sérieux" mais jamais traité avec un esprit de sérieux. Le sujet en est encore simple et tout aussi essentiel : la haine d'autrui et de soi. Alceste hait l'humanité tout entière, en dénonce l'hypocrisie, la couardise et la compromission. Mais il aime pourtant Célimène, coquette et médisante.
Molière connaissait sans doute le dialogue par lequel l'écrivain grec Lucien raille Timon, le montrant furieux contre un Zeus occupé à foudroyer tous les hommes. Les Caractères de Théophraste contenait une image de l'Homme toujours mécontent de son sort et de ses semblables. Mais la seule uvre littéraire dont on retrouve le reflet dans Le Misanthrope est de Molière lui-même, Dom Garcie de Navarre (1661). Plusieurs passages du quatrième acte reproduisent des vers de Dom Garcie.
Molière, plus qu'une critique de la cour, vise un certain état d'esprit : l'esprit de salon. De tous les salons, faut-il préciser, ce désir de distinction radicale, phénomène qui émergera plus certainement au XIXe siècle puis au XXe. Par là même, Alceste n'a pas tout à fait tort de railler l'hypocrisie de lhumanité mais il est bien le seul à ne pas voir la sienne avec cet amour pour Célimène, la coquette. Molière donne certes à Célimène le rôle de la coquette mais c'est également un véritable rôle de femme intelligente et sensible. Alceste est plus mal loti qu'elle car Célimène a compris sa vanité : «Et ses vrais sentiments sont combattus par lui, Aussitôt qu'il les voit dans la bouche d'autrui». Elle a saisi le masochisme extrême de son prétendant qui prétend haïr l'humanité, cette foule à laquelle il est pourtant totalement soumis en lui servant de modèle. Grand paradoxe.
Et cette contradiction entre ses principes et sa passion l'entraîne dans le milieu le plus hostile à ses principes ! Alceste est si radical qu'il ne tolère aucune vie sociale. Célimène n'est toutefois pas moins orgueilleuse. Elle se refuse à tout le monde tout en feignant de se donner à chacun. La coquette ne veut pas livrer sa précieuse personne aux désirs qu'elle provoque mais elle ne serait pas si précieuse si elle ne les provoquait pas. La préférence quelle s'accorde se fonde sur la préférence que lui accorde autrui. Et elle recherche les preuves de ces préférences pour mieux se refuser ! Alceste a fort à faire en aimant de la sorte une femme de peu de vertu, qu'il veut vertueuse ! La pièce est dune remarquable profondeur. En définitive, le personnage le plus sage ici est Philinte :
"La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l'on soit sage avec sobriété.
Cette grande raideur des vertus des vieux âges
Heurte trop notre siècle et les communs usages;
Elle veut aux mortels trop de perfection:
Il faut fléchir au temps sans obstination;
Et c'est une folie à nulle autre seconde
De vouloir se mêler de corriger le monde.
(...) Je prends tout doucement les hommes comme ils sont,
J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font;
Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville,
Mon flegme est philosophe autant que votre bile."
Cette mise en scène de 1977 s'en sort fort bien, malgré un âge trop avancé pour Georges Descrières qui manque de surcroît de naturel, de bouillonnement. De bile, même puisque tel est le personnage, "l'atrabilaire amoureux". On a parfois du mal à adhérer à sa composition. En revanche, Célimène nous étonne par cette coquetterie excellemment interprétée par Béatrice Agenin que l'on redécouvre avec enthousiasme dans ce rôle. C'est elle qui porte la pièce par sa grâce et son ton naturel. Nous sommes ravis de la revoir à chaque fois !
La réalisation est sobre et discrète et vise à rendre la pièce la plus accessible possible. Même si l'on peut reprocher une certaine raideur, le reste de la distribution est dexcellente qualité. Les couleurs un peu passées de 1977 nous font songer néanmoins que la télévision avait plus déclats que de nos jours en produisant et en diffusant des pièces de cette qualité à une heure de grande écoute.
Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 23/01/2009 )
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