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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
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L’autoflagellation ne fait de bien à personne | | | Pascal Bruckner La Tyrannie de la pénitence - Essai sur la masochisme occidental Le Livre de Poche 2008 / 6 € - 39.3 ffr. / 251 pages ISBN : 978-2-253-12183-1 FORMAT : 11x18 cm
Première publication en octobre 2006 (Grasset).
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
Pascal Bruckner est un de ces intellectuels français qui nhésitent pas à se distinguer des courants de pensée dominants. Cest sans doute pour cela quil est souvent étiqueté «à droite», par une intelligentsia qui se proclame «de gauche». Les appellations ne sont pas dorigine contrôlée. Son soutien à linvasion américaine de lIrak en 2003 avait confirmé quil ne craint pas de dire ce quil pense, même lorsque la majorité sexprime en sens contraire.
Avec La Tyrannie de la pénitence, Pascal Bruckner remet cela. En fait, il poursuit un travail entrepris dès 1983 avec Le Sanglot de lhomme blanc, qui consiste en une réflexion sur le rapport que lOccident - en réalité lEurope de lOuest - entretient avec lui-même et avec son identité. Il sinterroge cette fois sur un paradoxe. LEurope est un continent en paix, prospère et bien portant, un continent qui attire les moins bien lotis des quatre coins du monde, un continent qui suscite envie et admiration. Mais cest un continent qui ne saime pas. Ses habitants, ou une partie dentre eux, sont passés maîtres dans lart du dénigrement, de la condamnation, voire de la haine de soi. Ils accusent lEurope de tous les péchés de la Terre, ils admettent le bien fondé de tous les reproches, ils appellent à la reconnaissance des fautes et à la repentance permanente. Le phénomène nest pas nouveau : Pascal Bruckner rappelle comment lexistentialisme ou la décolonisation ont constitué une sorte de premier âge de la dénonciation des fautes de lEurope. Mais il lui semble que lépoque actuelle est loccasion dun renouvellement et dun durcissement de cette tendance. En même temps, ces idées se diffusent de plus en plus, elles sont reprises, plus ou moins consciemment, par les médias, la fiction, la classe politique, toujours anxieuse de ne pas rater un train, car il pourrait être le bon.
Chaque chapitre présente une facette de ce que Pascal Bruckner appelle «le masochisme occidental». Dabord, le constat de cette tendance au masochisme par lautodénigrement. Puis un chapitre sur le rapport aux anciennes colonies et ce qui en est issu, notamment lislam. Linventaire se poursuit avec la dénonciation de lisraélophobie ; le constat du renoncement de lEurope et des Européens à exister dans le monde contemporain ; la course à la victimisation ; le rapport culpabilisateur au passé colonial et à lesclavage, questions sur lesquelles lhistoire est étouffée par les mémoires. Pour terminer, ou presque, il sintéresse à la France, sorte de condensé des errements de lEurope. La France qui nose plus assumer ce quelle est. Qui espère trouver dans la repentance les solutions du malaise social des banlieues.
On voit que Pascal Bruckner balaie large. Cest dailleurs le principal défaut de son livre. Comme dans tout essai, la thèse défendue peut-être acceptée, rejetée ou discutée. Cest la loi du genre. Ici, on a des chances de réagir, car le propos est dans lensemble percutant. Mais très vite, on ne sait plus à quoi réagir. Pascal Bruckner attaque tous azimuts, et les défenses du lecteur sont rapidement saturées. Chaque chapitre pourrait faire un livre, chaque partie pourrait faire un chapitre, etc. Le style désoriente aussi. Lauteur lance une idée, cite et illustre, sanctionne et passe à la suivante. Cest vrai quil y a beaucoup à dire. Pascal Bruckner semble avoir ressenti une sorte durgence, de nécessité de simpliquer, de dénoncer toutes les dérives quil pointe. Mais on est vite désorienté. Une idée chasse lautre, la pensée na pas le temps de sinstaller. Les hors-texte qui concluent chaque chapitre ajoutent à cette impression de fourre-tout. Les points de vue ne sont pas non plus assez développés. La réduction, la simplification, peut-être la caricature, guettent à chaque page.
Si l'on est désorienté, si l'on se dit quil faut revenir séparément aux différents chapitres, on retire tout de même bien des choses de ce livre. Quon lapprouve ou pas, force est de reconnaître que Pascal Bruckner pose de vraies questions et que ses réponses méritent réflexion. Par exemple sur lEurope, sur ce quil appelle son «fanatisme de la modestie». Il qualifie lEurope d'«empire du vide», densemble qui refuse dassumer son rôle dans le monde et qui préfère senivrer de son patrimoine. Mais densemble qui éprouve une telle gêne à légard de soi-même quil préfère faire figurer sur ses billets des arches et des voûtes, plutôt que le visage de quelques-uns des innombrables génies qui ont illuminé son passé et ont fait sa gloire. LEurope ne regarde le passé que pour y trouver des motifs de honte et de repentance. Mais elle préfère cela plutôt que daffronter le présent, car elle «préfère la culpabilité à la responsabilité», selon Pascal Bruckner. Plutôt que dassumer ses responsabilités actuelles, elle sexcuse des fautes du passé. Et lopinion se précipite dans cette attitude bien pensante commode, qui consiste à se plonger dans le passé pour espérer échapper au présent. Il sagit de questions fondamentales, car elles portent sur des attitudes qui pourraient conditionner les comportements de lEurope pour au moins une génération.
À chacun dapprécier à sa façon les propos de Pascal Bruckner. Il prend position sur lair du temps. Un air souvent plein de relents étouffants et inquiétants. Sans doute son essai est-il trop dense et un peu confus, mais il pose des problèmes, parfois de façon maladroite, et le lecteur est libre de poursuivre sa propre réflexion.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 02/12/2008 ) Imprimer
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