|
Poches -> Histoire |
 | |
Pour corriger les idées reçues bien-pensantes sur la colonisation | | | Daniel Lefeuvre Pour en finir avec la repentance coloniale Flammarion - Champs 2008 / 7 € - 45.85 ffr. / 229 pages ISBN : 978-2-08-121306-7 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en septembre 2006 (Flammarion).
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
La France dhier a été colonisatrice parce quelle était raciste. La France daujourdhui est raciste parce quelle est le prolongement de la France colonisatrice. Les maux dont la société française souffre actuellement, exclusion, discrimination, difficultés de lintégration des immigrés et de leurs enfants, choc électoral du 21 avril 2002, crise des banlieues, sont donc les fruits directs du passé colonial de la France. Ces quelques affirmations, dont la validité nest jamais démontrée, ont été résumées par leurs auteurs sous lexpression de «fracture coloniale», qui est au cur dune nouvelle idéologie de la culpabilisation de la France et dexigence de sa repentance.
Depuis quelques années, cette idéologie, et les «mémoires particulières» qui en sont la traduction, envahit lespace public collectif. Daniel Lefeuvre qualifie de Repentants les tenants de cette idéologie. Ils manipulent lhistoire quils placent sous la tutelle de la mémoire et prétendent en faire, non un champ détude et de réflexion, mais un outil au service de leur cause. Ils ont des relais, dans une presse en manque de repères moraux et civiques, notamment dans Le Monde et Libération. Ils savent se faire entendre dune partie de la classe politique, elle aussi égarée et toujours pressée de voler au secours de causes douteuses dans lespoir den retirer quelques voix.
La loi dite Taubira du 21 mai 2001 sinscrivait exactement dans cette démarche de criminalisation du passé, dencadrement de lhistoire, jugée avec les critères du XXIe s., de satisfaction donnée à des groupes de pression identitaires. Cette loi qualifie de «crime contre lhumanité» la traite négrière atlantique et dans locéan Indien et lesclavage perpétré aux Caraïbes, en Amérique, dans locéan Indien et en Europe depuis le XVes. Elle oublie malencontreusement les traites intra-africaines, lesclavage antérieur au XVes. et lesclavage en Afrique et dans le monde arabe. Elle impose aux programmes scolaires et aux programmes de recherche universitaire en histoire et en sciences humaines daccorder à la traite négrière et à lesclavage la place conséquente quils méritent.
Lannée 2005 a vu se multiplier des dérives en tous sens, elle a vu les querelles de mémoire et les réactions pour défendre la liberté de lhistoire faire la une de lactualité. Elle a notamment été marquée par lappel dun curieux Collectif des «indigènes de la République» à la tenue dAssises de lanticolonialisme postcolonial ; par la loi du 24 février «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés» (Son article 4 prévoyait que «les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord») ; par les réactions dhistoriens à travers plusieurs pétitions réclamant selon les cas labolition dune ou de toutes les lois mémorielles et en tous cas la liberté pour lhistoire ; par les poursuites judiciaires, accompagnées dun déchaînement dinjures, intentées par un «collectif DOM» contre lhistorien Olivier Pétré-Grenouilleau, auteur dun remarquable ouvrage sur Les Traites négrières et qui avait contesté dans une interview le bien fondé de la loi Taubira ainsi que lappellation de «descendants desclaves» dont se réclament certains ; enfin, par un texte très virulent du président algérien Abdelaziz Bouteflika comparant, à loccasion du soixantième anniversaire des massacres de Sétif, la France coloniale à lAllemagne de Hitler. La liste nest pas exhaustive. La crise des banlieues donna aux inventeurs de la «fracture coloniale» loccasion de sexprimer abondamment.
Le rappel de ce lourd contexte est nécessaire pour comprendre la démarche entreprise par Daniel Lefeuvre dans Pour en finir avec la repentance coloniale. Spécialiste de lAlgérie coloniale et professeur dhistoire à Paris VIII, il entend sopposer à linstrumentalisation par les «Repentants» de lhistoire de la colonisation. Selon lui, cette instrumentalisation repose sur des contre-vérités, le plus souvent proférées sciemment. En insistant beaucoup sur le cas de lAlgérie, il cite et conteste, avec talent et efficacité, les affirmations de ses adversaires sur plusieurs points :
1 La colonisation na pas été lentreprise dextermination que dénoncent les «Repentants». Il y eut des massacres et des exactions, mais lhistoire des guerres européennes rappelle quil ne sagit pas dune spécificité de la conquête coloniale. La colonisation nannonce pas la Shoah et ne lui ressemble en rien ! 2 LEmpire colonial na pas été une «bonne affaire» pour la France. Il lui a plus coûté que rapporté. Il na en aucun cas fournit les bases de son décollage industriel. 3 La main duvre issue des colonies a joué un rôle marginal dans lessor économique de la France entre la fin du XIXe s. et la Première Guerre mondiale. Elle ne la pas non plus reconstruite après 1945. 4 Il ny eut pas dimportation en métropole des méthodes et de la mentalité de ladministration coloniale, dans le traitement des problèmes relatifs à la main duvre originaire de lEmpire.
Le travail de Daniel Lefeuvre est convaincant. Certaines de ses affirmations ou de ses analyses peuvent être discutées (notamment à propos de limmigration en provenance de lEmpire), mais le sérieux de ses connaissances est incontestable. Il montre surtout que si discussion il y a, sur tel ou tel point, elle ne doit pas être mêlée aux problématiques actuelles. Les phénomènes mémoriels sont légitimes, mais ils doivent sappuyer sur lhistoire et ne pas chercher à sy substituer.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 04/03/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Coloniser, Exterminer de Olivier Le Cour Grandmaison Colonisation : droit d'inventaire de Claude Liauzu , collectif Le Livre noir du colonialisme de Marc Ferro , collectif | | |
|
|
|
|