| Gérard Noiriel Gens d'ici venus d'ailleurs - La France de l'immigration, 1900 à nos jours Editions du Chêne 2004 / 45.50 € - 298.03 ffr. / 296 pages ISBN : 2-84277-520-1 FORMAT : 25x30 cm
Lauteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris. Imprimer
Gens dici venus dailleurs est ce que lon appelle un «beau livre», illustré de plus de 300 photographies noir et blanc sur limmigration et les immigrants en France, et cest aussi un livre dhistoire. Le livre dun spécialiste, du spécialiste de lhistoire de limmigration en France.
Le texte, fourni, documenté, problématisé, est lessentiel de ce quil faut connaître et comprendre sur limmigration en France. Mais en plus, chaque photographie fait lobjet dun commentaire précis, donnant sens à limage qui est alors bien plus quune simple illustration comme trop souvent dans ce type douvrage. Le contenu du chacun de ces commentaires enrichit, nuance, précise le propos général. Les photographies sont là pour nous apprendre quelque chose, ce qui explique peut-être un refus de lesthétisation. Certes, ces photos sont belles, mais elles ne sont pas présentées comme de belles photos dart qui feraient oublier leur contenu car la misère peut être belle à voir, et lon connaît les dérives esthétisantes de son iconographie. Ici, les contrastes du noir et blanc sont gommés par des tirages dans le gris, les cadrages sont retravaillés de façon à bouleverser les compositions, en déséquilibrant les photos, en coupant quasi systématiquement les pieds des protagonistes, en éliminant les ciels et les sols pour écraser les sujets
Les photos ne doivent jamais faire oublier ce quelles montrent. On regrettera cependant que ne soit jamais donné le nom du photographe, la date exacte de la photo, son usage, son lieu de publication : lhistorien, étonnamment, ne nous livre pas ici ses sources.
Gens dici venus dailleurs est aussi un livre au service dune thèse, dun discours, historique autant que politique. Contre les stéréotypes contemporains dune immigration «nouvelle» qui poserait «problème», et que lon oppose à une immigration plus ancienne qui se serait bien intégrée, Gérard Noiriel démontre que, de 1900 à nos jours, les immigrants se sont trouvés confrontés aux mêmes difficultés daccueil, de paperasserie administrative, de logement, de pénibilité du travail, de chômage, de xénophobie, de mise à lécart ; que les difficultés, les moyens, les vecteurs, les progrès de leur intégration ont toujours été comparables. Il ny a pas une «bonne» ou une «mauvaise immigration» - et lon sait bien qui fait son pain blanc de ce type de discours.
Aussi lhistorien sattache-t-il à analyser de la même façon le Polonais immigré au début du siècle, lItalien des années 30, le nord Africain des Trente Glorieuses. Mais il met également sur le même plan limmigrant du travail et le demandeur dasile, le réfugié espagnol fuyant le franquisme en 1939, ou les harkis au lendemain de la guerre dAlgérie. On pourra remarquer que lillustration renforce très habilement cette idée. Car, et cest assez surprenant, mais fort efficace, les photos de 1930 ne se distinguent pas toujours de celles de 1960 ou 2002. Il y a, dans louvrage, une uniformité de lappareil photographique : quelques différences dans le grain (mais elles sont gommées), parfois un détail qui permet de «dater» une photo (détail vestimentaire, ou mobilier urbain), mais sinon la permanence dans la composition des photos, leur facture gomme les différences et renforce la thèse de Gérard Noiriel. Les réfugiés espagnols à la frontière «ressemblent» aux mineurs polonais débarqués dans une gare du nord de la France. De 1900 à 2002, tous les immigrants, quils fuient un régime politique ou la misère, quils recherchent la sécurité politique ou un travail, quils pratiquent en France le bouddhisme, lislam ou le catholicisme, quils se marient, quils manifestent, revendiquent, tous se «ressemblent» sur ces photos : cest la même souffrance, la même misère, la même dignité aussi que lhistorien nous donne à voir. Rien quà feuilleter le livre, la démonstration est éloquente.
Pour Gérard Noiriel, il sagit tout à la fois de donner à limmigration une place dans la mémoire nationale de la France, qui, à la différence des Etats-Unis, ne lui reconnaît pas la place qui est la sienne dans son économie, sa croissance, son peuplement, sa culture, son histoire. Il en va, pour lui, de sa «responsabilité civique» dhistorien que de «diffuser auprès des citoyens les résultats dune recherche», pour «faire comprendre que leur histoire cest aussi notre histoire». Il sagit de redonner aux immigrants (il insiste sur ce terme quil préfère à celui, devenu péjoratif, dimmigrés) une dignité et combattre, de front, tous les stéréotypes négatifs dont ils sont la cible.
Gérard Noiriel rappelle les cycles de limmigration en France : première immigration à la fin du XIXe siècle, essentiellement de frontaliers, lors de la première révolution industrielle, pour fournir des ouvriers quand les Français, attachés à la terre et au travail agricole, refusaient la prolétarisation et lurbanisation ; deuxième vague, européenne, après la Première Guerre mondiale, quand il fallait bien combler le vide démographique laissé par les combats, et quand il fallait trouver des hommes qui acceptent les travaux déqualifiés et répétitifs dune industrie taylorisée ; dernière vague, dorigines plus lointaines, pour fournir les bras nécessaires à la croissance des Trente Glorieuses. Gérard Noiriel le rappelle : sans lapport massif de limmigration, aucune des grandes infrastructures de notre pays, des voies ferrées du XIXe siècle aux autoroutes, nauraient vu le jour ; nos villes, nos banlieues ont été construites avec laide massive des immigrants. La croissance est le fruit de leur travail. Ils ont fait les travaux que les Français ne voulaient pas faire, ils ont comblé les manques de main duvre. On a eu besoin deux, on est allé les chercher, on les a recrutés, embauchés, utilisés.
Mais sil rappelle cette chronologie, lauteur nen fait pas la trame de louvrage : ceût été jouer le jeu de lopposition entre limmigration récente à «problème» et lancienne. Aussi le livre suit-il une progression thématique, accompagnant la vie de limmigrant, de son départ, à son arrivée en France, dans ses logements insalubres, dans ses difficultés administratives, dans son travail, sa vie de famille ; dans sa confrontation au racisme. G. Noiriel rappelle ses efforts pour tout à la fois sintégrer, participer à la Nation au point de parfois mourir pour elle, et pour cultiver sa différence, maintenir vivant son héritage culturel tout en se fondant dans la société française, pour donner une meilleure chance à ses enfants, conquérir un bon statut social, revendiquer les droits quon lui refuse. Cette découverte de lautre, dans son quotidien, est également un moyen de lui redonner une dignité et de combattre les stéréotypes.
Mathilde Larrère ( Mis en ligne le 13/04/2005 ) Imprimer
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