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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Contrôle et répression des mœurs sexuelles sous Vichy | | | Cyril Olivier Le Vice ou la vertu - Vichy et les politiques de la sexualité Presses universitaires du Mirail - Tempus 2005 / 23 € - 150.65 ffr. / 311 pages ISBN : 2-85816-775-3 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
Lauteur du compte rendu : Eric Alary, Docteur ès Lettres en Histoire de lIEP de Paris, agrégé dhistoire, est professeur en Lettres et en Première Supérieures au lycée Camille Guérin (Poitiers) ; il est également chercheur associé au Centre dHistoire de Sciences Po et au CRHISCO/ Université Rennes II. Imprimer
Cyril Olivier publie le manuscrit extrait de sa thèse de doctorat en histoire, soutenue à lUniversité de Poitiers en 2002 ; celle-ci fourmille de détails et de conclusions neuves sur un sujet jusqualors effleuré, mais jamais approfondi : lhistoire des sexualités.
Lapproche est double puisquelle permet de scruter minutieusement la politique de Vichy en matière familiale, sexuelle et morale, mais aussi le regard de la société sur des murs jugées «déviantes». Les historiens anglo-saxons ont depuis longtemps ouvert ce dossier considéré plutôt avec embarras par les historiens français. Or, Cyril Olivier sinscrit dans une démarche qui fait de la sexualité un objet dhistoire à part entière. Ses recherches sont sans nul doute au cur dun renouveau de la recherche sur les sexualités. Les études historiques sur les pratiques sexuelles dites «déviantes» sont encore assez rares, même depuis le début des années 2000, à lexception des travaux de Luc Capdevila, Sylvie Chaperon, Agnès Fine, Anne-Claire Rebreyrend, Fabrice Virgili et Danièle Voldman, entre autres.
Cyril Olivier livre des conclusions très éclairantes sur une partie de la vie quotidienne des Français. Les guerres provoquent souvent les mutations de certains comportements sexuels. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la France connaît un régime autoritaire avec des personnels politiques très conservateurs. Le discours et la réglementation érigent en modèle la sexualité conjugale et «conceptionnelle» (néologisme de lauteur). Le droit au divorce est très sévèrement restreint et ladultère connaît une répression relativement dure. Si une femme se conduit mal sur la voie publique, elle est aussitôt contrainte à des mesures vexatoires comme des visites médicales humiliantes ou linscription sur des registres de la prostitution. Pour Vichy, il faut avoir un comportement sexuel irréprochable quand on est une femme. Lavortement est considéré comme un crime contre lEtat ; la punition peut être la peine capitale. La contraception est prohibée. Se prostituer sans respecter les règlements de Vichy qui suit les dispositions prises par loccupant -, cest sexposer à une véritable traque avec pour prétexte essentiel la prophylaxie des maladies vénériennes. Ainsi Vichy décide de favoriser la prostitution close, ce qui revient à enfermer les femmes qui se prostituent. Une «collaboration sanitaire» franco-allemande est donc organisée même en ce domaine.
Les conditions dexistence des prostituées ont assurément changé en ces temps dairain. Distinguons les prostituées déjà sur la voie publique avant la guerre de ces femmes qui le deviennent par nécessité en raison dune paupérisation qui est la conséquence des pénuries de loccupation.
En effet, la vie quotidienne sorganise autour de nouveaux noyaux relationnels pour la plupart bouleversés par les combats, lexode et le compartimentage de la France. Des comportements déviants apparaissent dès lors que Vichy instaure des règles obligatoires de conduite pour la vie intime de chacun. A cause de la dénatalité qui frappe la France, les femmes font partie des responsables de la défaite de 1940, selon lidéologie vichyste (cette conclusion prolonge les travaux de Francine Muel-Dreyfus, Vichy et léternel féminin. Contribution à une sociologie politique des corps, Paris, Le Seuil, 1996).
Déjà, dès avant 1940, en France, des ligues de «moralité» ont souhaité avec force un assainissement des murs. Pour ne pas être traduit devant un tribunal sous Vichy, il faut avoir un comportement perceptible et clair par lensemble du public ; il faut respecter les valeurs codifiées. Ceci est aussi valable lorsque lon analyse le phénomène des femmes tondues à la Libération. Déjà sous la Troisième République, de nombreuses pratiques ont été réprimées en ce quelles ne respectaient pas un certain idéal moral. Vichy ne rompt donc pas totalement avec la République, mais la Révolution nationale a amplifié la répression. Selon Cyril Olivier ce qui confirme en partie les recherches de Fabrice Virgili -, la Révolution nationale des murs na finalement pas eu lieu. Le régime de Pétain a beaucoup légiféré, mais cela na pas été aussi efficace que prévu, ce que montre lauteur.
Les femmes de prisonniers de guerre sont lobjet dune surveillance collective particulière et judiciaire. Les maris sont absents et lEtat français semble vouloir les remplacer. Pour Vichy, la prostituée mariée ou non, adultèrine ou séparée, occasionnelle, professionnelle ou clandestine - est la pire des femmes, la pire facette du comportement de la gent féminine. Vichy, par ses discours et les textes officiels crée les femmes de «mauvaise vie».
Pour son étude, entre autres nombreuses sources, lauteur a étudié avec soin les archives de quinze tribunaux correctionnels situés dans la Charente, les Deux-Sèvres, la Vienne et la Haute-Vienne, de six chambres civiques (Corrèze, Creuse, Charente, Vienne, Haute-Vienne, Deux-Sèvres) : ce sont ainsi mille cas de femmes dites de «mauvaise vie» qui sont analysés ; ces femmes sont généralement des urbaines de faible niveau social, en âge de procréer.
On est là face à une histoire en prise directe avec une partie de la société française ; le champ dobservation se porte sur lhistoire de «destins particuliers» et «singuliers». Nombre de thèmes sont donc envisagés et décryptés avec passion : la Révolution nationale contre la révolution sexuelle, le courant anti-avortement ; lencadrement de prostitution close ; la collaboration sanitaire ; les divorces et leur signification ; le concubinage et les autres pratiques jugées déraisonnables (les relations illégitimes et lurgence affective) ; ladultère inacceptable pour la société des femmes de prisonniers de guerre aux yeux de la société), les homosexualités féminines, les conséquences du concubinage «notoire», etc. Notons au passage que même si les «mauvaises femmes» sont particulièrement touchées par la répression vichyste, les hommes constituent le plus fort contingent des condamnés (51,5%), notamment pour concubinage notoire ou encore complicité dadultère. Si les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944, la répression de linfidélité et de lavortement sest poursuivie sous la IVe République. Lévolution des rapports de genre sinscrit dans cette continuité parfois troublante.
Louvrage est vraiment une très bonne synthèse du travail doctoral ; un seul petit regret : quil ny ait pas autant de graphiques publiés que ceux réalisés pour la thèse de doctorat. Mais sans doute lauteur a-t-il été contraint déquilibrer au mieux le contenu de son livre. Cela est en grande partie compensé par les très utiles fiches biographiques en fin douvrage sur des personnages parfois peu connus, même des historiens spécialistes de la Seconde Guerre mondiale. Cest donc un ouvrage incontournable sur un sujet neuf, sans vouloir céder à la mode des militantismes sexuels en pleine expansion, car Cyril Olivier fait montre de la plus grande rigueur historique. Les amoureux de lhistoire de la vie quotidienne se régaleront. Une partie consacrée aux sources et à la bibliographie sélective, sans oublier un index des noms de personnes, complètent louvrage.
Eric Alary ( Mis en ligne le 12/01/2006 ) Imprimer
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