David Chaillou - La politique sur la scène (1810-1815) Fayard 2004 / 28 € - 183.4 ffr. / 542 pages ISBN : 2-213-61780-5 FORMAT : 16x24 cm
Préface de Jean Tulard.
L'auteur du compte rendu : Historienne de formation, Malika Combes travaille sur les liens entre pouvoir et musique au XXe siècle. Elle effectue une thèse de doctorat à l'EHESS sur la section musique de l'Académie de France à Rome (Villa Médicis). Imprimer
Si nous connaissons relativement bien les liens privilégiés qui unissaient Napoléon III et lOpéra, il nen est pas de même de son illustre aïeul, Napoléon Ier
Peu mélomane, lempereur a néanmoins très vite saisi limportance de la musique dans lart de gouverner. On avait en effet coutume de penser que la musique avait un pouvoir quasi magique, celui dagir sur les foules, comme le redoutait dès lAntiquité Platon en lexcluant de sa «cité idéale» et comme lavaient fort bien compris les Révolutionnaires. Quant à lOpéra, il avait lavantage à cette époque dêtre populaire et de pouvoir servir un discours.
David Chaillou, dans Napoléon et lOpéra publication de sa thèse de doctorat en histoire - sintéresse, suivant dans cette voie son directeur détude Jean Tulard, à lélaboration du mythe de lempereur, convaincu du rôle important joué par Napoléon dans la création de sa propre légende. Lutilisation que ce dernier fit de lart pour forger son propre mythe a certes déjà été étudiée, notamment ses liens avec le peintre David et avec la sculpture, mais ce que nous pourrions délibérément nommer sa «politique musicale» - comme bien souvent ! - est resté dans lombre. Nous ne pouvons donc que remercier le jeune chercheur de sêtre attelé à cette étude.
David Chaillou présente en premier lieu linstitution, l Opéra de Paris, scène privilégiée puisquelle était la seule dans la capitale à pouvoir représenter des pièces en musique et en français sur des sujets mythologiques ou historiques. Napoléon lui attribua ainsi la vocation de flatter la vanité nationale. Il décrit les réseaux qui gravitent autour de lAcadémie de musique et leurs liens indéniables avec lempereur.
Il sattache par la suite à parler des uvres, et souligne notamment limportance du pouvoir politique dans le cheminement de la pièce, du simple livret déposé à lAcadémie de musique jusquà la scène, en passant par des étapes réglementées, jury de lAcadémie et censure dépendant du ministère de la Police.
En partant dune étude approfondie des livrets, des partitions, des dessins de décors et de costumes, il nous montre comment à travers des sujets mythologiques et historiques ceux-ci prenant bien soin de ne pas évoquer sous un jour favorable la monarchie récemment abolie -, les opéras de cette période mettent en avant la gloire impériale.
Le caractère politique de cette scène apparaît évident lorsque sont montées dans lurgence des «uvres de circonstance», souvent commandées par les politiques eux-mêmes, tel Le Triomphe de Trajan en 1807, qui célèbre le retour dIéna de lempereur ou encore Le Triomphe du Mois de Mars et le Berceau dAchille, composé en 1811 à loccasion de la naissance du roi de Rome.
David Chaillou noublie pas non plus le public et ses réactions, que sonde lempereur avec intérêt et parfois crainte.
Malgré quelques répétitions qui accompagnent inéluctablement un travail universitaire, lhistorien réussit à rendre son sujet vivant grâce à lintérêt quil porte aux acteurs de lépoque et à la description des livrets des uvres représentées sur la scène de lOpéra de Paris.
Si les bornes chronologiques napparaissent pas toujours justifiées, létude jusquen 1815, donnant un aperçu de la scène parisienne sous la Restauration, a néanmoins le mérite de nous décrire la réaction du milieu artistique face à ce brusque revirement politique. Sans scrupule, les compositeurs, épinglés par létonnant Dictionnaire des girouettes, changent aisément lobjet de leurs louanges.
Que duvres disparues ! Force est de le constater. Nous ne partageons pas pour autant, lavis de Jean Tulard
Nous regrettons dailleurs le peu de place accordé à la musique en elle-même. LAcadémie sous Napoléon est prise dassaut par les «modernes» (Spontini, Kreutzer, Méhul) comme le souligne David Chaillou, mais en quoi consiste justement leur «modernité» ? Nous ne le saurons pas. Comment «sonnait» la scène de lOpéra à cette époque ? Nous nen aurons quune vague idée. Jean Tulard est ainsi un peu trop optimiste dans sa préface en attribuant à son étudiant la réhabilitation des opéras perdus susceptibles dêtre repris en concert, tant ceux-ci nous semblent liés aux événements du début du XIXe siècle et à la légende napoléonienne
Malika Combes ( Mis en ligne le 19/03/2004 ) Imprimer |